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fallait en croire un écrivain français qui a passé au Canada plusieurs années de sa vie, M. Émile Chevalier, et qui concédait aux Canadiens la large licence dont il entendait sans doute user pour lui-même :

« En dépit des puristes, écrivait-il, nous ne craignons pas de dire que l’idiome vernaculaire (?) en Canada, tout altéré qu’il paraisse, a sur les langues vierges un avantage marqué — il formule plus laconiquement et plus exactement. Or, comme la linguistique n’est pas, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, douée d’immutabilité ; comme la progression est une loi universelle, nous ne saurions blâmer ces emprunts que se font journellement des langues sœurs. Quand ils sont judicieux, l’usage ne tarde pas à les légitimer ; quand ils sont vicieux, un ostracisme a promptement fait justice de leur production adultérine. Ne laissez point frelater l’essence de notre langue, mais n’ayez point peur de l’enrichir de parfums exotiques, surtout quand vous y pouvez verser une expression concrète. »

Malgré ce qu’il y a d’ingénieux et ce qu’il peut y avoir de partiellement juste dans cette opinion, nous nous permettrons de donner à nos collatéraux d’Amérique un conseil tout contraire. Qu’ils se défient, par-dessus tout, de ces prétendus « parfums exotiques » qui empoisonneraient leur langue maternelle et qui brouilleraient leurs idées sur la grammaire, la syntaxe et la rhétorique. Qu’ils s’adonnent à la lecture et à l’étude de nos meilleurs auteurs, et parmi nos contemporains nous citerons, tout en craignant d’en omettre : Paul-Louis Courier, ce connaisseur si raffiné de notre vieille langue, Ch. Nodier, Sainte-Beuve, Vinet, Augustin Thierry, Guizot, Thiers, M. Edmond About, M. Marc Monnier, etc. Qu’ils fondent parmi eux, comme c’est, croyons-nous, l’intention des jeunes littérateurs du Canada, des académies qui auront là-bas, comme l’Académie française chez nous, la tâche d’être les gardiennes de la langue et les régentes du bien dire et du bien écrire. Il ne se peut pas, après tout, que deux millions d’hommes qui tiennent à leur origine française comme à une noblesse, et qui savent que noblesse oblige, laissent mutiler ou défigurer la langue de leurs pères, sur-