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Page:Raîche - Les dépaysés, c1929.djvu/41

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les dépaysés

parler. Elle alla à l’église le cœur gros à éclater. Si elle ne se fût pas retenue, comme elle eût pleuré, dans cette église, d’amour vrai et sincère ! Elle voyait Paul en avant, non loin du catafalque. Comme il était beau, fier et digne dans son complet noir, et en même temps, comme il paraissait triste et seul ! S’il avait voulu, elle aurait été pour lui une épouse et une mère. Elle l’aimait assez pour remplir ces deux rôles de la femme. Qu’elle eût entouré sa vie d’affection et de soins ! Cette pensée faisait monter des larmes qui lui brûlaient les yeux. Le service terminé, on alla au cimetière. Là encore, elle ne put, elle n’osa s’approcher de Paul, s’en retourna chez elle ayant perdu cette unique occasion de lui parler. Et elle fut triste jusqu’à vouloir mourir.

Les jours passaient. Le printemps était venu et parti. C’était maintenant l’été. Paul était toujours silencieux, ne paraissant pas se douter de l’existence de sa voisine. Les gens disaient devant elle qu’il faudrait bien qu’il se mariât pour remplacer sa mère au foyer. Ces propos lui étaient doux et pénibles ; doux par ce qu’ils laissaient entrevoir d’espérance, et pénibles, par ce qu’ils laissaient percer de déception et d’amertume.

Jeanne sortait moins à présent. Elle préférait rester chez elle, l’esprit rivé à cet amour qui lui meurtrissait le cœur. Cette grande pensée, constante jusqu’à l’obsession, habitait avec elle à tous les moments du jour et de la nuit, martelait ses tempes, faisait d’elle un lent martyre. Dormait-elle, que cet amour prenait la forme d’un songe qui la harcelait. À son réveil, elle ressentait l’aiguillon de cette même pensée aiguë qui la tourmentait dans toutes les fibres de son être.