Page:Rabelais - Pantagruel, ca 1530.djvu/22

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ung iour de Vendredy tout le monde sestoit mis en devotion, et faisoit une belle procession avecques force letanies et beaux preschans, supplians a dieu omnipotent les vouloir regarder de son œil de clemence en tel desconfort, visiblement fut veu de la terre sortir grosses gouttes deau, comme quand quelque personne sue copieusement. Et le pauvre peuple se commença a esiouyr comme sy ce eust este chose a eulx proffitable : Car les aulcuns disoient que de humeur il ny en avoit point en lair, dont on esperast de avoir pluye, et que la terre supplioit au deffault. Les aultres gens scavans disoient que cestoit pluye des Antipodes : comme Senecque narre au quart livre questionum naturalium, parlant de lorigine et source du fleuve du Nile. Mais ils y furent trompez : car la procession finee alors que chascun vouloit recueillir de ceste rousee et en boire à plein godet, trouverent que ce nestoit que saulmere pire et plus salee que nest leau de la mer. Et par ce quen ce propre iour nasquit Pantagruel, son pere luy imposa tel nom : car Panta en Grec vault autant a dire comme tout : et Gruel en langue hagarene vault autant comme altere, voulant inferer quà lheure de sa nativite le monde estoit tout altere. Et voyant en esperit de prophetie quil seroit quelque iour dominateur des alterez. Ce que luy fut monstre à celle heure mesmes par aultre signe plus evident. Car alors que sa mere Badebec enfantoit, et que les sages femmes attendoient pour le recepvoir, issirent premier de son ventre soixante et huyt tregeniers chascun tirant par le licol ung mulet tout charge de sel : apres lesquels sortirent neuf dromadaires chargez de iambons et langues de bœuf fumees : sept chameaulx chargez d’anguillettes : puis vingt et cinq charrettes de