Page:Rabelais ou imitateur - Le Disciple de Pantagruel, éd. Lacroix 1875.djvu/69

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sang, et le tiers à fer esmoulu. Cela faict, Dieu, qui n’oublie point ses amys au besoing, voyant que, pour meschans gens, nous estions si gens de bien, nous jecta et preserva hors d’icelluy peril ; parquoy nous tirasmes oultre et fismes racoutrer et calfeutrer nostre navire pour plus grande seureté.

Toutesfois, ignorans du grand péril qui nous estoit encores à advenir, comme vous orrez, nous tirasmes oultre et vinsmes aborder en Pisle des Marganes, en laquelle sont les Warlouphes, qui sont bestes grandes et merveilleuses comme leons. Ilz sont vestuz d’escaille comme sont carpes ; mais elles sont sans comparaison plus grandes et plus dures que le plus dur acier du monde, car elles sont trempées en jus et en sang de cotton et d’estoupes.

Quand elles nous apperceurent là où nous estions sortiz hors de nostre navire, elles vindrent contre nous la gueulle ouverte, grande comme un four à ban, pour nous dévorer et engloutir tous vifz ; parquoy je fis destacher à mes gens toutes leurs haquebuttes et harquebouses contre eulx ; mais tout cela n’y servit de rien, car leur escaille estoit si dure et si espesse que noz bouletz et plombées n’eussent sceu prendre dessus ; parquoy ilz rejaillissoient vers nous.

Lors quand je vy cela, j’eu merveilleusement grand peur ; parquoy je dis à mes gens qu’ilz prinsent couraige, et qu’ilz missent les braz jusques aux espaulles dedans les gueulles desdictz