Page:Rachilde - Nono, 1885.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
nono

et elle avait tué ! À quoi bon se défier du sort ? La destinée arrivait d’un pas très lent mais très sûr. Elle ne la retarderait pas. L’âpre sentiment qui la possédait malgré elle, s’élevait, spontanément, trop haut pour qu’elle l’entachât d’un bas esprit d’intérêt. La moindre complicité avec Bruno ignorant devenait monstrueuse, puisque la fatalité le lui faisait aimer. Avec ces visions lointaines qu’ont les femmes d’expérience quand elles aiment d’un amour sincère, elle voyait cet enfant l’accuser un jour, devant des juges, d’avoir voulu lui faire partager un crime épouvantable. Bruno l’avait aperçue rentrant à l’heure était retombée la roche. Quelques instants avant il écrivait, ne se doutant pas de ce qui se passait là-bas, à la clarté des étoiles. Il avait ajouté, au courant de la plume, une réflexion, réflexion accablante, sa perte, son châtiment. Lui faire reprendre cela, du moment que cela avait été lu, n’était-ce pas le rendre responsable avec elle. La justice retrouvera toutes ces preuves, elle les groupera en faisceau et en formera plus tard une terrible accusation.

Non ! Bruno ne redemanderait rien. La passion de Renée saurait attendre la justice. Les pleurs la soulagèrent un peu. Elle le devinait tout près d’elle et en était heureuse. La pierre de touche pour l’amour, c’est l’humiliation. Renée s’humiliait dans une extase passionnée. Il ne comprendrait point, il ne saurait jamais l’aimer, peut-être, mais qu’est-ce donc qu’être aimé, quand on aime éperdument pour son compte. Ce n’est souvent qu’une jouissance dédou-