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mon âme, mon corps, toute ma triste personne pour ton amour de reine, ma bien-aimée Renée. »

Il serrait ses mains délicates à les broyer.

— M’aimeras-tu sagement comme tu aimais ta Lilie ?

— Plus sagement encore, si tu l’exiges… ai-je donc le droit de te demander du bonheur, puisque tu n’es pas heureuse.

— Ah ! s’écria Renée se prenant les tempes dans un accès d’épouvante, l’amour tel que je l’avais rêvé existe donc… et il m’est interdit ! Voici la malédiction sur moi ! »

Bruno, obéissant, se taisait, respectant son secret, puisqu’il lui plaisait de le garder. Seulement il eut un douloureux reproche au fond des yeux.

— Sortons, dit-elle frissonnant à l’écho de sa propre voix répercutée sous les voûtes.

Ils regagnèrent la voiture, passant dans les rues sans s’arrêter et ne regardant rien. Ils ne surent pas comment ils revinrent au château ; l’alezan fila tout le temps d’un train d’enfer.

En descendant du panier, ils virent un homme d’aspect sévère causant avec le général Fayor qui sacrait d’une manière furibonde.

— Trois cent mille tonnerres, clamait-il, je vous affirme que ce jeune drôle était un vaurien, tudieu ! un parasite, un chenapan, un joueur. »

Renée, d’un geste impérieux, renvoya Bruno, et elle monta le perron pressentant quelque chose de terrible.