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Renée mesura la distance. Le chemin très rapide courait droit à l’étang, une mare ténébreuse qu’on apercevait sous les dernières frondaisons. La surface de cette eau paraissait comme une huile. Au-delà, plus rien : le ciel s’éteignait partout. C’était, de ce côté de Montpellier, la seule eau profonde que l’on connût, et on avait aidé la nature en adoucissant les bords pour la grossir des pluies d’hiver. Les paysans attachaient à cet étang beaucoup d’histoires fantastiques, car les miasmes des eaux tranquilles et dormantes donnent la fièvre, la fièvre inspiratrice des crimes, de sorte que ces légendes pouvaient être vraies.

Mélibar frémit des quatre pieds. Il secoua ses rênes et eut comme un regret poignant de l’air libre, des clématites embaumées, de la plaine large où brillait le soleil. Était-ce bien la peine de quitter les belles routes découvertes pour aller contempler une eau de mare croupissante ?

Subitement, Mélibar devint comme fou. Un taon lui rongeait l’oreille et c’était une si cruelle piqûre qu’il se cabra éperdu ; il s’aveugla de sa crinière en se débattant, une taie sanglante glissa entre ses longs cils. Il hennit, s’enleva, fouilla le sol… Ce ne pouvait être un taon, c’était trop horrible ! Jamais Mélibar n’avait eu pareille rage. Alors, comme Renée continuait d’appuyer son poignard fin, dont le bout ensanglantait l’oreille du cheval, celui-ci oublia le gracieux fardeau qu’il soutenait. Il se précipita dans l’allée sinistre, prenant son mors à pleines dents, les