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— Oh ! je ne veux rien ! répliqua-t-il sans regarder les fleurs.

— Des reproches, tu n’as pas le droit de m’en faire ! dit-elle vivement, paraissant poursuivre un monologue mental, tu ignores trop de choses pour pouvoir me juger. Notre amour est une folie qui n’a pas d’issue possible. Le hasard place sur ma route un autre homme que toi. Il peut m’épouser. Il est grand seigneur ! très riche ! Mon caprice va te le préférer. Il fallait deviner que j’étais capricieuse. D’ailleurs, n’es-tu pas consolé de la perte d’Amélie ? Tu te consoleras encore ! Mais je vais te donner un conseil en échange du sourire que tu as mis dans mes tristesses : Nono, les femmes sont sans pitié… Nono, moque-toi des femmes !

— Je vous remercie ! » répondit-il d’un accent navré. Il s’agenouilla près d’elle en s’enveloppant le visage de sa mousseline pour la respirer, bien qu’elle sentît déjà les fleurs offertes par un autre. Il était immobile, le corps ployé sous une douleur atroce, et ne formulait aucun reproche, puisqu’elle ne lui accordait plus le droit de lui en faire.

Nono se rappelait qu’un jour (il sortait à peine du collège) il avait relu tout son Virgile à l’ombre du lilas qui ornait le pauvre jardinet de sa mère. La chaleur était forte comme par ce matin d’août et les grappes exhalaient une pénétrante odeur, une odeur grisant ses sens au point de le faire souffrir. Il se le rappelait bien, il venait d’atteindre ses seize ans, son sang courait très vite dans ses veines plus