Page:Rachilde - Nono, 1885.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
nono

jours été mon fait ! Mille tonnerres ! je suis un soldat libéral… c’est vraiment remarquable. »

Mlle Fayor avait les yeux battus, les joues pâlies et de la haine au fond des prunelles.

Elle offrit du beurre à Bruno ; celui-ci repoussa l’assiette, puis nerveux, se versa un grand coup d’eau claire. Un domestique vint dire :

— Le paralytique, mon général.

— J’y vais, s’exclama Fayor empressé, lâchant le potage, mon officier d’ordonnance ! Diable ! dans mon cabinet tout de suite.

Ce paralytique béquillait pour les élections — un brave homme, quoiqu’un peu pessimiste.

— On ne peut plus manger ici !… » fit Renée avec un geste lassé.

Bruno se redressa résolument. Soit hasard, soit calcul, ils ne s’étaient pas retrouvés en tête à tête depuis que le duc était venu à Tourtoiranne. Ils s’évitaient instinctivement.

— Je ne veux pas de beurre, répondit le jeune homme, merci ! je n’aurai jamais faim, maintenant.

« Victorien Barthelme d’abord, M. de Pluncey ensuite, moi au milieu… je sens que j’en mourrai ! »

Des larmes lui vinrent aux yeux, mais il les refoula, se mordant le poing qui tenait sa fourchette. Renée avait tressailli.

— Barthelme ! pourquoi ce nom ?

— Oh ! pourquoi le duc ? riposta Nono à moitié fou.

— Tu m’accuserais d’être leur maîtresse ? » ajouta-t-elle d’un ton sourd.