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Il venait de Lodève. En descendant du train, il avait gagné Tourtoiranne et on l’avait reconnu. Chacun savait qu’il appartenait à la justice. Malgré le défaut de preuves, chacun voulut faire son devoir, et prêter main-forte aux gendarmes exerçant en rase campagne. Bruno traqué de pelouses en pelouses, de murailles en murailles, était tombé dans le bal des paysans d’abord, dans le bal des grands seigneurs ensuite.

Que lui importait ? Il était innocent. Ce fut une scène indescriptible. Les officiers commandés par le général chargèrent, rangés en bataille. Le juge d’instruction fit tirer l’écharpe du maire. Bruno se redressa l’œil en feu.

— Eh bien, soit ! je vais tuer puisqu’il faut que je sois un assassin ! Oui, je vais tuer !

Le général connaissait la main de son secrétaire, il obliqua vers la droite, les officiers suivirent.

Il y avait des danseuses montées sur les divans, des danseurs accrochés aux tentures, tout le monde parlait à la fois.

— Qu’on me laisse libre », supplia Bruno se sentant perdu et prêt, en effet, à commettre un crime. Alors, du fond de la serre, écartant les verdures fraîches, toute livide dans ses draperies blanches, sortit la duchesse. Renée étendit les fleurs qu’elle tenait.

— Mon père, dit-elle d’une voix vibrante, il ne faut pas qu’on arrête cet homme ici. On ne l’a même pas interrogé. On ne sait même pas ce qu’il a fait. Notre joie serait infâme si elle était impuissante à protéger un malheureux ! »