Page:Rachilde - Nono, 1885.djvu/272

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
nono

— C’est lui, hurlait-on, à l’aide ! C’est un diable déchaîné !… Il nous secoue comme des pailles. À l’aide ! Nous le tenons ! »

C’était, évidemment, une supériorité d’homme à jeun qu’avait ce diable. Les gendarmes dégainèrent. Mais par un prodigieux effort des reins, celui qui les secouait comme des pailles bondit sur le perron, renversa le buffet champêtre, terrassa les valets, s’engouffra dans l’escalier plein de roses, et ce fut le secrétaire du général, Bruno Maldas, qui apparut en personne au regard épouvanté des danseurs.

L’orchestre se tut. La valse s’arrêta. Les jupes de tulle cessèrent d’auréoler leurs météores. Des exclamations de stupeur partirent de toutes les bouches. Lui, Bruno, s’était arrêté en chancelant. Ses habits couverts de poussière se déchiraient par place et pendaient tachés d’une longue traînée de sang qui coulait de sa joue gauche. Ses cheveux, hérissés comme une crinière de fauve, avaient des maculatures de boue. Ses prunelles dilatées étaient fixes comme des prunelles de bête poursuivie, et ses mains tordues, effrayantes, se tendaient encore pour se défendre. Un son rauque sortait de sa bouche où les dents éblouissaient prêtes à mordre. Bruno avait l’aspect d’un chien enragé.

— Je suis innocent, rugit-il pris d’une colère hideuse, je suis innocent ! »

Il tira un couteau, parce qu’il était à bout de force maintenant et qu’il devinait une autre lutte, plus dangereuse à soutenir.