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nono

Renée se pencha davantage pour essuyer le sang de Nono.

— Il faut gagner du temps ! j’ai à te parler ! lui glissa-t-elle bien bas.

— Vous connaissez le coupable ? demanda-t-il fiévreusement.

— Oui, je le connais et ne peux le dénoncer.

— Ah ! parlez, parlez… sauvez-moi ! N’avez-vous pas dit à ma mère que vous m’aimiez ? » râla Nono pris de vertige en la contemplant tout près de lui, en sortant ce front couronné de pierres précieuses toucher son front souillé de boue.

— Je t’aime, je ne suis à personne ! je n’aurai ni amant ni époux, entends-tu. Toi seul, tu m’auras un jour à ta merci, je te le jure, je ne serai jamais sa femme !

Elle parlait doucement, sa mante d’hermine enveloppait le jeune homme, et les demoiselles d’honneur, se tenant à une respectueuse distance, admiraient les doigts d’albâtre de la duchesse maniant les compresses comme le plus habile des chirurgiens. Mais Renée, entraînée par la passion, n’avait pas vu le duc faire volte-face brusquement et attacher un regard inquiet sur elle. Renée avait eu une lueur rose dans la lividité de son visage, un tressaillement malgré son attitude hautaine, un moment d’oubli malgré son courage, et si rapide qu’eût été le regard du duc il avait compris que son honneur de mari était menacé par quelque chose d’odieux. Il alla remplir un verre de vin de champagne, le posa sur une assiette, et, à son tour, se fit l’échanson du pauvre Bruno.