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verres de champagne contre les ducs. Il n’y eut aucune confidence ; Bruno se bornait au rôle ordinaire de tous les accusés possibles, il était fatigué.

— Pouvez-vous me donner une explication franche de cette fugue ? dit le juge en atténuant le mot pour mettre Bruno plus à l’aise.

— Non, balbutia le pauvre enfant, je ne te peux pas. Ses joues pâles s’animèrent et ses cicatrices devinrent très rouges. Non… je ne le peux pas, répéta-t-il, je me suis sauvé parce que je m’ennuyais.

Le juge n’objecta rien. Le greffier fit courir sa plume avec une grimace significative.

— Je connais vos antécédents, reprit le magistrat, ils sont bons. Votre mère et votre sœur sont, en partie, soutenus par vos appointements depuis que vous êtes sorti du collège. Vous êtes sobre, vous ne buvez pas, vous ne fumez pas, vous n’aimez pas les femmes. On ne peut relever contre vous qu’une taciturnité extraordinaire chez un homme de votre âge. »

Nono ne se serait jamais cru autant de qualités. Il n’aurait jamais pu supposer que s’abstenir de liqueurs, de cigares et de filles était l’équivalent d’une vertu.

— Vous êtes bien bon, monsieur, fit-il doucement, je ne suis ni meilleur, ni pire qu’un autre.

— Alors, vous persistez à ne pas vouloir vous expliquer au sujet de votre fuite ? »

Cette fois, le juge d’instruction disait le mot cru.

— Je persiste, répondit nettement Bruno.

— C’est singulier, un acte si normal ! »