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nono

lendemain de leur union, on avait obéi, et personne ne se doutait du fil invisible qui allait l’enserrer jusqu’à lui meurtrir la chair. La puissance n’était-elle pas irrévocablement établie ? C’était un mariage d’amour !

Pendant la nuit, Renée se livrait de nouveau à ses pensées mortelles. Le duc n’eût pas franchi son seuil, même en cas d’appel désespéré. La chambre, très vaste, la chambre nuptiale avait une nuit qui semblait plus sinistre qu’aucune autre ; une nuit de velours, étouffant les sanglots, d’où les cris ne pouvaient rien ébranler, rien émouvoir. Dans sa somptuosité, le lit, trop large, avait un aspect désert qui la faisait frissonner dès qu’elle y entrait. Les draperies épaisses lui paraissaient menaçantes dans leur lourdeur blasonnée. Ce blason surtout, brodé en relief au ciel du lit, avait toujours l’air de s’abattre sur elle, avec ses deux ailes coupées.

Une de ses femmes aurait pu dormir auprès d’elle ; mais il eût fallu instruire les gens des Combasses de ce que le duc ne voulait pas qu’ils pussent jamais savoir ; ce qui restait d’orgueil à Renée l’empêchait de sonner durant ses crises.

Bruno n’était plus là pour veiller…

Enfin, par une bien froide aurore, elle trouva le moyen de s’échapper. Elle ne demanda ni cheval ni gens. Elle garda son peignoir de satin clair et ne mit qu’une mantille, puis elle s’enfuit par les sentiers les plus couverts, tâchant de s’orienter pour gagner Tourtoiranne le plus rapidement possible. Elle voulait voir son père et lui tout apprendre. Miss Bell, la