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ment honneur à sa mémoire, surtout à sa perspicacité. Un beau jour il s’était présenté au bureau du juge d’instruction. Jeune, d’assez jolie mine, correctement vêtu, il avait plu tout de suite, mais quand il avait déclaré et presque affirmé que s’il y avait cadavre, ce devait être mathématiquement sous le rocher de Tourtoiranne, en citant, à l’appui de cette assertion, la phrase ténébreuse de Bruno : Une belle tombe pour un homme !… le juge s’était écrié « M. Béniard (architecte de 1re classe) vous êtes un garçon d’avenir. » Du même coup, il devenait l’âme de l’affaire. On ne tarissait plus d’éloges sur son compte. Il dut répéter vingt fois cette phrase mortelle et raide comme ses compas, sa mémoire algébrique ne lui fournit pas un commentaire neuf à la vingtième fois.

C’était donc ces trois hommes qui servaient de gouvernail au lourd vaisseau de la justice prêt à s’échouer contre le roc mystérieux du château Fayor.

Le temps, très sombre et très froid, engagea le général à faire allumer quelques feux de bivouac autour de l’ancienne salle de bain de sa fille.

Les paysans saccagèrent les taillis voisins, puis fabriquèrent des torches avec de la paille pour éclairer la caverne qu’ils pensaient voir s’ouvrir à leurs pieds. On avait apporté tous les instruments nécessaires ; crics, pioches, cordages. De nouveau, le général ne perdit pas l’occasion de commander un assaut et tout le monde fit bravement son devoir. L’aube avançant, les nuées se colorèrent au-dessus de Tourtoiranne. Les tourelles eurent des étincelles roses sur la croix de