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nono

Victorien lui toucha le cou, très doucement, comme pour en écarter une mèche blonde qui flottait à travers les dentelles de sa collerette :

— Tu ne m’as jamais aimé ? » fit-il en mettant une grande gravité dans sa phrase.

Elle le regarda avec un regard fiévreux, presque noir.

— Jamais ! je vous le répète ! je vous le jure ! »

Il battait le sable de l’allée du bout de sa botte, baissant le front et dissimulant un rire silencieux.

— Oh ! cet aveu est pour le moins consolant ! Voulez-vous que je vous raconte une histoire, mademoiselle Renée Fayor, une histoire qui atténuera le parjure que vous venez de faire ? »

Renée alla s’asseoir sur un banc de gazon : elle se doutait probablement de ce qu’il dirait, car ses lèvres se serrèrent.

— Il y avait une fois, reprit Victorien, redressant devant elle son buste incliné, une jeune fille de dix-neuf ans, un peu abandonnée à elle-même, ingénue, j’en conviens, provocante, je l’affirme, qui errait dans un hôtel sous la surveillance d’une gouvernante très sévère, tellement sévère qu’un malheureux jeune homme, postulant pour devenir l’humble secrétaire du général Fayor, ne fut pas aperçu un certain soir, faisant une cour pressante à cette jeune fille. Oh ! je sais que vous allez m’objecter que ce jeune homme ne valait pas le diable, qu’il avait fait tous les métiers, traîné dans tous les tripots de la capitale, etc., etc. Bah ! il avait un cœur, tout comme un