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pensait que Paris le lui aurait détruit avant peu. Cette demoiselle Névasson n’était pas son rêve, à la maman. Bruno calcula qu’en envoyant par mois cent francs chez nous, selon son expression, et en gardant cent francs pour gonfler la bourse mystérieuse destinée à son futur beau-père, il lui resterait cinquante francs pour son entretien et cela suffirait à le rendre le plus enchanté des secrétaires.

Le pacte fut conclu. Nono avait vingt et un ans.

Il est des êtres, pétris d’une argile douce qui ont pour mission de se prêter aux mains brutales des autres. Plus l’argile devient fine, malléable, onctueuse, plus les mains brutales la pétrissent, la retournent, la massent.

Nono, sans se douter de rien, se jeta courageusement sous l’ébauchoir cruel du général. Il ne savait qu’une chose, c’est que, s’il tenait ferme, le salut de M. Névasson était assuré, tandis qu’il lui faudrait courir les positions chanceuses s’il s’impatientait. Il gardait son cœur d’incompris pour les lettres sur papier vert pâle. Ces lettres étaient navrantes. Lilie ne comprenait pas… mais ça ne faisait rien, il trouvait si bon d’écrire ce qu’il souffrait à une créature blonde et frêle qui serait toute sienne un jour. Il cachait une poésie dans chaque vulgarité de sa nature. Il s’habillait grossièrement, mettait trop longtemps des habits trop courts, car il se développait encore, et l’économie d’étoffes neuves emplissait peu à peu la tirelire du beau-père. Il fallait solder à l’heure du contrat dix mille francs net. Et il lui grimpait des