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laid ! Les jeunes hommes qui sont beaux, ou seulement bien n’ont jamais ressenti les affres de cette rage qu’éprouve l’amoureux, bon jusqu’aux moelles, en se sachant laid. Dans les lycées et collèges de province on connaît certaines recherches, malgré la tunique raide et le pantalon disgracieux. On se fait une raie à droite ou à gauche. On a de l’extrait de citron ou de l’eau de Cologne pour le mouchoir, du savon mousseux pour adoucir la peau gercée, des chemises à plis et des faux-cols où l’œil attendri contemple les mots Jockey-Club, Dandy-Amirauté, imprimés à l’envers. On a des cravates bleues, roses, chinées, des gants de fil, et quand on doit longer, en promenade, les demoiselles du pensionnat voisin, on pose son képi d’une certaine façon, absolument provocante pour ceux qui sont prévenus. Bruno, dont le père avait été jardinier, et qui avait une bourse entière, grâce à la générosité de la ville, ignorait ces choses de la fashion, et, devenu adolescent, on s’était trop moqué de lui pour qu’il pensât à les apprendre. Lilie, mauvaise comme toutes les petites adulées, lui avait dit une fois : Tu ne seras jamais faraud comme M. Ludovic ! M. Ludovic était le fils du maire. Il n’y avait pas de bon sens d’aller chercher une comparaison pareille. Le fils du maire ! Ça devenait consolant à force d’être invraisemblable. Pourtant, ô bizarrerie féminine, Lilie aimait les cheveux de Nono, ces cheveux fabuleux qui se répandaient partout et le forçaient à marcher la tête en avant, pour y voir ; elle les aimait, elle les triait, elle les tressait, et riait au tra-