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Bruno était bien malheureux. Les douleurs se proportionnent à la vivacité des passions ; sa seule vraie passion expliquée, la jalousie, le faisait souffrir de tout, et plus il était bon, plus il souffrait.

On se demandera pourquoi Mlle Lilie Névasson avait aimé Nono dans un pareil état. Mon Dieu ! il y a deux âges pendant lesquels les femmes aiment les collégiens : soixante ans et quatorze ans. Recevoir une lettre poste restante, avoir des rendez-vous au jardin public et sous la garde de sa bonne, aller causer de quinze jours en quinze jours chez une personne un peu inférieure qui vous traite en petite reine, cela est dans le sang des jeunes filles. Puis, ça fait peur, on en tremble, on en a des cauchemars où l’on voit un père levant son coutelas sur la tête de sa fille, tandis que l’amoureux se poignarde plus loin, et qu’une enveloppe ouverte gît sur le devant de la scène.

Maintenant, Lilie était de bonne foi en lui promettant d’être sa femme. Elle s’était laissé embrasser… elle lui devait sa personne. En province, on a de ces idées sottes et généreuses, chez les petits bourgeois. Ce fut un soir, dans le bout de parterre de Mme Maldas, hors des murs de Montpellier, loin des parents. Bruno avait la cervelle un peu perdue à cause du fils du maire. Il pleurait, selon son assommante habitude ; alors, elle, très émue, lui caressa le cou, ce qui lui produisit un effet nerveux indescriptible. Il eut comme un rayon de soleil sur les lèvres, et il partagea ce rayon avec la joue que Lilie