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torturée contre la joue du dormeur, et pourtant, contraste délicieux, sa joue avait l’épiderme d’une telle finesse, que cela pouvait faire supposer que Bruno avait conservé, en dépit de sa majorité, la fameuse chair de lait qu’on perd à sept ans, disent les physiologistes.

Renée Fayor rêvait toujours.

… La petite chambre se repeuplait des fraîches idylles découvertes dans la correspondance de Nono. Lilie apparaissait avec sa guimpe plissée à l’ange, sa robe de mousseline, ses yeux faïence, ses nattes couleur moisson, et sa maigreur de pensionnaire prude. Le long des murs glissaient les feuillets vert espérance de leur roman, d’un ridicule si doux qu’il faisait peine. C’était la scène du baiser avec ses révoltes enfantines et ses promesses solennelles ; Nono jurant un amour éternellement respectueux. Lilie défendant le champagne, les cigares, le monde, et lui, obéissant à outrance. Puis, le sérieux de leur vie parmi ces tendresses toutes simples, ces calculs d’argent pour payer les dettes du père.

Renée se souvenait qu’avant d’être la maîtresse de Victorien Barthelme, le débauché, elle avait eu de ces idées singulières. Un dévouement à deux, le château transformé en hospice pour tout le pays, elle, l’aumônière à la main, élevant les enfants et leur apprenant à lire ; lui, un mari gentilhomme ayant son diplôme de docteur-médecin, soignant gratis tous les malades des villages voisins. Ou bien, près de Paris, à Meudon, un nid très simple partagé avec un étu-