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diant en vacances. Dans un creux de chemin, une maison pas trop blanche, pas trop noire ; le toit en tuiles rouges recouvert de chèvrefeuille. Derrière la maison, un jardin avec un bouquet de noisetiers, et dans ce bouquet, une trouée large comme une ogive d’église, d’où la vue se perdait dans le lointain. À côté, un ruisseau et les premiers taillis d’un bois. À l’intérieur de sa maison, elle aurait voulu une vieille paysanne honnête et à l’étable une vache blanche. Ensuite, dans l’angle le plus resserré des murailles, une chambre à coucher avec un lit étroit tendu de mousseline, orné de rubans roses. Des fleurs partout, des fleurs ordinaires, violettes, lilas, pervenches, cythise, voire même, à la saison, un cep de vigne chargé de ses grappes, un bouquet de pêches veloutées. Le printemps venu elle y aurait conduit son mari, un vrai mari, un petit homme à elle qui se serait haussé sur ses pointes pour passer sous la porte. Il aurait eu des yeux terribles et un sourire naïf. On aurait dit à la vieille : Faites une omelette très grosse pour déjeuner, servez le poulet d’hier… de la crème, du beurre, des fruits. En attendant le dîner, on serait allé dans les bois, très loin, sans savoir où : on se serait perdu, puis retrouvé. Ils se seraient assis soudain, au pied d’un chêne, et, près d’eux le chapeau de paille serait tombé sur le chapeau de gaze. Lui, fatigué, aurait rempli ses dix doigts de son front chaud, et ils seraient demeurés là, immobiles, sages, ne se souvenant de rien, ne sachant pas si le monde est autre chose que l’amour, et pensant