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TRAGEDIE

Luy qui me fut ſi cher, & qui m’a pû trahir !
Ah ! ie l’ay trop aimé pour ne le point haïr.

CLEONNE.

Fuyez-le donc, Madame ; et puis qu’on vous adore…

HERMIONNE.

Ah ! laiſſe à ma fureur le temps de croiſtre encore.
Contre mon Ennemy laiſſe-moy m’aſſurer,
Cleonne, auec horreur ie m’en veux ſeparer.
Il n’y trauaillera que trop bien, l’Infidelle !

CLEONNE.

Quoy ! vous en attendez quelque injure nouuelle ?
Aimer vne Captiue, & l’aimer à vos yeux,
Tout cela n’a donc pû vous le rendre odieux ?
Apres ce qu’il a fait, que ſçauroit-il donc faire ?
Il vous auroit déplû, s’il pouuoit vous déplaire.

HERMIONNE.

Pourquoi veux-tu, Cruelle, irriter mes ennuis ?
Je crains de me connoiſître en l’eſtat où ie ſuis.
De tout ce que tu vois tâche de ne rien croire.
Croy que ie n’aime plus. Vante-moy ma victoire,
Croy que dans ſon dépit mon Cœur eſt endurcy.
Helas ! & s’il ſe peut, fay-le moy croire auſſy.
Tu veux que ie le fuye. Hé bien, rien ne m’arreſte.
Allons. N’enuions plus ſon indigne conqueſte.
Que ſur luy ſa Captiue étende ſon pouuoir.
Fuyons. Mais ſi l’Ingrat rentroit dans ſon deuoir !