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ANDROMAQVE

Si la Foy dans ſon Cœur retrouuoit quelque place !
S’il venoit à mes pieds me demander ſa Grace !
Si ſous mes Loix, Amour, tu pouuois l’engager !
S’il vouloit !… Mais l’Ingrat ne veut que m’outrager.
Demeurons toutefois, pour troubler leur fortune.
Prenons quelque plaiſir à leur eſtre importune.
Ou le forçant de rompre vn nœud ſi ſolemnel,
Aux yeux de tous les Grecs rendons-le criminel.
I’ai déja ſur le Fils attiré leur colere.
Ie veux qu’on viẽne encor luy demander la Mere.
Rendons-luy les tourmens qu’elle me fait ſouffrir.
Qu’elle le perde, ou bien qu’il la faſſe périr.

CLEONNE.

Penſez-vous que des yeux toûjours ouuerts aux larmes,
Songent à balancer le pouuoir de vos charmes ?
Et qu’vn Cœur accablé de tant de déplaiſirs,
De ſon Perſecuteur ait brigué les ſoûpirs ?
Voyez ſi ſa douleur en paroiſt ſoulagée.
Pourquoy dõc les chagrins où ſon Ame eſt plõgée ?
Pourquoy tant de froideurs ? Pourquoy cette fierté ?

HERMIONNE.

Helas ! pour mon malheur ie l’ay trop écouté.
Ie n’ay point du ſilence affecté le myſtère.
Ie croyois ſans péril pouuoir eſtre ſincere.
Et ſans armer mes yeux d’vn moment de rigueur,
Ie n’ay pour luy parler, conſulté que mon Cœur.
Et qui ne ſe ſeroit comme moy declarée,
Sur la foy d’vune amour ſi ſaintement jurée ?
Me voyoit-il de l’œil qu’il me voit aujourd’huy ?
Tu t’en ſouuiens encor, tout conſpiroit pour luy.