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TRAGEDIE

Et que de tant de Morts réueillant la douleur,
Le ſoin de mon repos me fiſt troubler le leur ?
Eſt-ce là cette ardeur tant promiſe à ſa cendre.
Mais ſon Fils periſſoit, il l’a falu défendre ?
Pyrrhus en m’épouſant s’en déclare l’appuy.
Il ſuffit. Je veux bien m’en repoſer ſur luy.
Ie ſçays quel eſt Pyrrhus. Violent, mais ſincere,
Cephiſe, il fera plus qu’il n’a promis de faire.
Sur le courroux des Grecs, je m’en repoſe encor,
Leur haine va donner vn Pere au Fils d’Hector.
Ie vais donc, puiſqu’il faut que je me ſacrifie,
Aſſurer à Pyrrhus le reſte de ma vie.
Ie vais en receuant ſa foy ſur les Autels,
L’engager à mon Fils par des nœuds immortels.
Mais auſſi-toſt ma main, à moy ſeule funeſte,
D’vne infidelle vie abbregera le reſte,
Et ſauuant ma vertu, rendra ce que je doyi
À Pyrrhus, à mon Fils, à mon Eſpoux, à moy.
Voila de mon amour l’innocent ſtratagéme,
Voila ce qu’vn Eſpoux m’a commandé luy-méme.
I’iray ſeule rejoindre Hector, & mes Ayeux.
Cephiſe, c’eſt à toy de me fermer les yeux.

CEPHISE.

Ah ! ne pretendez pas que je puiſſe ſuruiure.

ANDROMAQVE.

Non, non, je te deffends, Cephiſe, de me ſuiure.
Ie confie à tes ſoins mon vnique treſor,
Si tu viuois pour moy, vy pour le Fils d’Hector.
De l’eſpoir des Troyens ſeule dépoſitaire,
Songe à combien de Roys tu deuiens neceſſaire.
Veille auprès de Pyrrhus. Fais-luy garder ſa foy.
S’il le faut, je conſens que tu parles de moy,