Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/286

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toujours ; ce n’est pas qu’on n’en publie plus ; au contraire, il s’en publie autant ou plus que jamais. Mais — et c’est là ce qui rend tout à fait singuliere cette espece de crise poetique — il se forme une sorte de separation entre le grand public et un petit, tout petit public d’amateurs, qui se passionnent d’autant plus pour l’art des vers que la foule s’en désinteresse davantage. La poésie devient une spécialité, comme la pisciculture ou l’apiculture. Elle a ses éditeurs, qui s’appliquent à faire de chaque recueil un petit bijou typographique. Elle a son format à part, son papier à part, son caractère à part. Les éditions sont petites, mais les exemplaires sont chers. De tels volumes ne sont pas faits pour attirer le bourgeois. Le poëte ne connait plus le bourgeois. Autant il était avide, autrefois, de se bercer au bruit des applaudissements de la foule, autant il met aujourd’hui d’empressement à les éviter. Il a peur des suffrages grossiers, des félicitations vulgaires. Il ne veut plus même être appelé le poëte, terme commun, qui sent son philistin ; il s’appelle le Parnassien, voulant montrer par là qu’il n’habite qu’un canton ecarté du monde intellectuel. Il a sa montagne, dont il ne bouge pas, et qu’il défend contre les invasions des profanes. Autrefois la vie littéraire avait des foyers d’où elle cherchait à rayonner ; aujourd’hui, la vie poétique a des abris où elle se retire. Elle fuit le monde et le monde la fuit, et il semble qu’il y ait