Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/313

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à images : poésie d’enfant phénomène, d’écolier virtuose qui lance des fusées dans les airs. Les nuits tropicales n’ont pas besoin de ces feux d’artifice. Si Leconte de Lisle avait eu des initiateurs, ce seraient bien plutôt André Chénier et Alfred de Vigny ; mais il a sur eux l’avantage d’avoir bu à la source. Malgre tout ce qu’ont pu y ajouter le rêve et l’érudition, l’inspiration, chez lui, vient de la nature, abondante et directe. Il est le seul parmi nos poëtes qui ait vraiment la morbidezza orientale. Son vers a des étirements, des enroulements et des déroulements de boa ; il a des langueurs à vous donner le vertige de l’ivresse ; puis il s’éveille, part, siffle, et s’élance avec des ondoiements de reptile ou des caprices de gazelle ; il a des cris stridents, des grondements sourds, le grondement de la bête fauve ; il a aussi des notes flûtées, des chants de bengali et des roucoulements de ramier. Je ne connais pas de poésie qui tienne de plus près aux impressions et à la mémoire des sens, qui suppose une organisation nerveuse plus fine et plus riche. Il y a des parfums et des senteurs dans les vers de Leconte de Lisle, et volontiers on se le figure comme Djihan-Guir assis sur quelque terrasse enchantée,


Où le souffle du soir, chargé d’odeurs suaves
Soulève jusqu’à lui l’âme errante des fleurs.


Je sais les objections que l’on peut faire, et ce qu’il