Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/316

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de Musset. Après le cantique, l’élégie, l’élégie religieuse dans son principe, le regret de la foi. Cela a duré quelque temps ; puis, et c’est aujourd’hui la note dominante, la poésie a paru resignée aux perspectives limitées du positivisme moderne. La sérénité fait défaut à cette résignation : elle est sombre, elle est farouche ; mais enfin l’on affirme que c’est de la résignation. Il n’y a plus de ciel, il n’y a que l’espace ; il n’y a plus d’éternité, il n’y a que le temps. Cette vue nouvelle peut profiter à l’art en donnant une valeur exclusive aux formes successives de l’être changeant. Le fini occupe seul le regard ; seul, il absorbe la pensée ; aussi ne faut-il pas s’étonner si les poëtes actuels ont plus de relief et d’exactitude dans le dessin qu’on n’en avait il y a cinquante ou cent ans. Les objets que la poésie rencontrait sur son chemin n’étaient pour elle qu’un premier plan, destiné à faire sentir, par delà, la profondeur des perspectives où plongeait son regard. Aujourd’hui, ils peuvent encore former une série, une de ces séries comme la science en reconnaît dans le sein de la création ; mais il n’y a plus de par delà : ils sont le premier, le second, le troisième plan ; ils sont tout. Et c’est pourquoi, quand le condor s’élève au-dessus de la haute Cordillière, il ne voit que le monde, indifférent et pâle, et le contemplant d’un œil morne, il ouvre mélancoliquement ses deux ailes et s’endort dans l’air glacé. La différence est grande