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AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

lières, comme nous commençons par les idées plus composées et plus grossières ; mais cela n’empêche point que l’ordre de la nature ne commence par le plus simple, et que la raison des vérités plus particulières ne dépende des plus générales, dont elles ne sont que des exemples. Et quand on veut considérer ce qui est en nous virtuellement et avant toute aperception, on a raison de commencer par le plus simple. Car les principes généraux entrent dans nos pensées dont ils font l’âme et la liaison. Ils y sont nécessaires comme les muscles et les tendons le sont pour marcher, quoiqu’on n’y pense point. L’esprit s’appuie sur ces principes à tous moments, mais il ne vient pas si aisément à les démêler et à se les représenter distinctement et séparément, parce que cela demande une grande attention à ce qu’il fait, et la plupart des gens, peu accoutumés à méditer, n’en ont guère. Les Chinois n’ont-ils pas comme nous des sons articulés ? Et cependant, s’étant attachés à une autre manière, ils ne se sont pas encore avisés de faire un alphabet de ces sons. C’est ainsi qu’on possède bien des choses sans le savoir. » Et si enfin on demandait à Leibniz ce que c’étaient que ces principes innés par lesquels, sans y songer, nous gouvernons pourtant nos pensées et nos actions, « c’étaient, répondait-il, des vérités premières, qui sont le fond même de la raison ».

Dans l’opinion de M. Stuart Mill, qui, du reste, n’est que la conséquence, hardiment déduite, des principes du positivisme, l’expérience ne nous montrant que des faits les uns auprès des autres, et rien n’étant connu que par la seule expérience, il n’y a aucune raison, par conséquent aucune nécessité, de quelque genre que ce soit, aucune nécessité ni absolue ni relative, ni logique ni morale. Il aurait pu se faire que les sciences fussent les unes avec les autres dans des rapports tout autres que ceux qu’Auguste Comte a exposés ; il aurait pu se faire qu’elles n’eussent les unes avec les autres aucun rapport. Il se peut que, dans d’autres planètes ou dans des parties de la nôtre encore incon-