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LA PHILOSOPHIE EN FRANCE

suites de faits qu’offre l’expérience d’autres suites semblables. À cela objecte-t-on que, si l’on induit du semblable au semblable, c’est apparemment parce que, en vertu de quelque principe qui autorise à le faire, on établit entre les analogues une connexion, sinon nécessaire, au moins probable : nullement, dit M. Stuart Mill ; ce prétendu principe n’arrive qu’après coup. L’induction est une opération instinctive, par laquelle d’un fait particulier nous passons à un autre, sans que pour cela il nous faille aucune sorte de raison.

De même qu’on peut demander au positivisme comment il se fait, si les notions mathématiques ne nous viennent que de l’expérience, que de ces notions on puisse tirer une foule de conséquences que l’expérience ne manque jamais de vérifier, de même on lui demandera comment il se fait, si l’induction est un machinisme sans raison, que si souvent les faits la confirment. Est-ce assez, d’ailleurs, pour prouver que nous induisons sans en avoir aucune raison, d’alléguer que nous ne nous apercevons point que nous en ayons aucune ? L’auteur des Nouveaux essais sur l’entendement humain n’a-t-il pas répondu avec plein droit à une assertion équivalente de Locke que nous raisonnons souvent d’après des principes dont nous ne nous apercevons pas, ou du moins dont nous n’avons qu’une conscience obscure et confuse ? « Nous savons bien des choses, disait-il après Platon, auxquelles nous ne pensons guère. » — « Il y a en nous, ajoute-t-il supérieurement, des vérités d’instinct qui sont des principes innés qu’on sent et qu’on approuve quand même on n’en a point de preuve, preuve qu’on obtient pourtant lorsqu’on rend raison de cet instinct. C’est ainsi qu’on se sert des lois des conséquences suivant une connaissance confuse, et comme par instinct ; mais les logiciens en démontrent la raison, comme les mathématiciens aussi rendent raison de ce qu’on fait sans y penser en marchant et en sautant. » — « Il est vrai que nous commençons plus tôt de nous apercevoir des vérités particu-