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LA PHILOSOPHIE EN FRANCE

Auguste Comte a dit encore : « Toute science consiste dans la coordination des faits. On peut même dire généralement que la science est essentiellement destinée à dispenser, autant que le comportent les divers phénomènes, de toute observation directe, en permettant de déduire du plus petit nombre possible de données immédiates le plus grand nombre possible de résultats. N’est-ce point là, en effet, l’usage réel, soit dans la spéculation, soit dans l’action, des lois que nous parvenons à découvrir entre les phénomènes naturels ? »

Ainsi, selon le disciple de Bacon et de Hume, d’accord, en ce point essentiel, avec Descartes et avec Leibniz, c’était la pensée qui, au moyen d’un ordre provisoire, traçait à l’expérience son chemin, et c’était le but même de la science que de dispenser, par un ordre définitif, de l’observation, et de remplacer enfin l’expérience par le raisonnement.

Lorsque Auguste Comte, dans la suite de son travail encyclopédique sur les généralités de toutes les sciences, passa de la considération des choses inorganiques à celle des choses de l’ordre vital, il fit un grand pas de plus, ou plutôt il vit s’ouvrir devant lui une voie toute nouvelle, qui devait le mener à un point de vue presque entièrement opposé à celui où il s’était placé d’abord, et de son matérialisme géométrique le faire passer par degrés à une sorte de mysticisme.

Des circonstances particulières de sa vie y contribuèrent, à la vérité, et les mouvements de son cœur influèrent sur ceux de son esprit ; mais ils ne firent que précipiter cette révolution, que devait produire tôt ou tard, à mesure que le progrès de ses études y donnerait occasion, le développement seul du sentiment, qui lui était naturel, de la nécessité, en toutes choses, de quelque principe d’ordre et d’unité.

Alors même qu’il ne s’agit que des choses inorganiques, ce