Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/115

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il ne leur sera certes pas difficile de trouver un professeur plus ferre que moi sur la règle des participes et plus enthousiaste des beautés de Noël et Chapsal. Il me semble que mon corps s’énerve et s’affadit sous cette atmosphère lourde et moite, il me faut retrouver la vigueur et l’élasticité dans un pays de montagnes et de torrents. J’ai besoin de marcher, de voir de nouveaux pays, de contempler surtout ces Cordillères auxquelles je rêve depuis mon enfance et qui sont si près, de l’autre côté du golfe du Mexique. Tant que je n’aurai pas de famille, que je ne me serai pas acheté un petit lopin de terre pour m’enraciner dans le sol, je crois que ce désir de marcher et de voir ne me laissera pas de repos. D’ailleurs voir la terre ; c’est pour moi l’étudier ; la seule étude véritablement sérieuse que je fasse est celle de la géographie, et je crois qu’il vaut beaucoup mieux observer la nature chez elle que de se l’imaginer du fond de son cabinet. Aucune description, aussi belle qu’elle soit, ne peut être vraie, car elle ne peut reproduire la vie du paysage, la fuite de l’eau, le frémissement des feuilles, le chant des oiseaux, le parfum des fleurs, les formes changeantes des nuages ; pour connaître, il faut voir. J’avais lu bien des phrases sur la mer des Tropiques, mais je ne l’ai pas comprise tant que je n’ai pas vu de mes yeux ses îles vertes et ses traînées d’algues et ses longues processions de nautiles oses et ses grandes nappes de lumière phosphorescente. Voilà pourquoi je veux voir les volcans de l’Amérique du Sud. Chère mère, qui sait ? peut-être avant longtemps, je reviendrai t’en parler.

Ne redoute pas la misère pour moi, une crainte pareille serait tout à fait chimérique. Je saurai travailler dans le Sud comme j’ai su travailler dans le Nord et