Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/160

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l’argent est rare, les 1 200 francs trouvèrent singulièrement bien leur emploi sans entrer dans la poche de quelque capitaine ivrogne ; il vaudrait mieux m’en envoyer une partie pour payer mes dettes et planter du café. Pour le moment, c’est à moi d’aller vous retrouver plutôt qu’à vous de venir dans la Nouvelle Grenade. Au besoin, je pourrais aller en France par sauts et par bonds ; mais ce qu’il y a de mieux à faire pour aujourd’hui, c’est de ne pas chercher à nous voir. L’hésitation de Marthe[1], et je crois que Marthe est aussi bien la vraie femme que Noémi, ne me laisse aucun doute à cet égard. Venir sans foi, c’est vouloir mourir de la fièvre jaune, du choléra, d’une maladie quelconque, de doute seulement. Continue à copier tes actes de la section du contentieux, et laisse-moi bêcher la terre et vendre de la morue pour des bananes ou des patates, car ici nous n’en sommes pas au virement de compte mais à l’échange primitif, à tout ce qu’il y a de plus barbare en fait de troc. Restez, mes très bons, Grimard, Hickel, d’autres : Paris et la science valent bien Élisée, la Nevada et peut-être la mort pour l’un de vous. Ce n’est pas le dire, chère Noémi, que tu ne verras jamais la Sierra Nevada. Si nous réussissons à demi dans notre plantation de café, si les communications deviennent plus faciles, par suite de l’invention de quelque nouvelle hydrolocomotive, et que l’on puisse arriver au délicieux climat de la Sierra Nevada en traversant le climat tropical comme un ouragan, alors nous pourrons faire de Paris notre maison de ville et de la Sierra Nevada notre maison de campagne. Est-ce

  1. Allusion à la Marthe de l’Évangile qui « s’agitait et s’inquiétait pour beaucoup de choses »