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Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/166

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leçons quelconques à la jeunesse juive et chrétienne de Riohacha. Maintenant c’est une affaire bâclée, et ce qu’il y a de mieux dans l’histoire, c’est que le contrat n’engage que moi et que, dès les premiers jours, il s’est trouvé des récalcitrants qui ont refusé de payer. De plus, mon Juif a gardé les deux copies du contrat et m’a fait signer un reçu mirifique. Ma signature a des lettres d’au moins un demi pied de long.

Malgré tout, je suis enchanté de la logique des choses ; la première fois que, par un contrat, je fais acte d’épicier, voilà que les épiciers m’entourent comme l’un des leurs et me volent par fraternité pure. Plat individu que je suis ! Je ne veux pas faire de contrat de mariage alors qu’une simple formalité me donnerait peut-être l’amour et la joie pendant de longues années, et je m’engage à être pédagogue. Voilà ma logique ; on éprouve parfois une joie amère à se renier soi-même et à se ranger dans la catégorie des imbéciles. On se dédouble alors et le moi peut mépriser le moi, c’est un phénomène maladif qui fait diversion à l’uniformité de la vie. Puis l’expérience y gagne, et l’on peut étudier dans ses propres actes ce que c’est que la racaille.

C’est une chose intéressante mais très corruptrice que de se voir dans sa nudité et de se connaître soi-même. On se voit souvent si vil et si bas, tellement soumis aux fluctuations des événements les plus vulgaires, qu’on finit par en prendre son parti et par se soumettre naïvement à la fatalité. Il en est ainsi du moins pour les esprits faibles, qui ne savent pas généraliser, retrouver les principes dans les détails et l’infini sous l’infiniment petit. Je suis un de ceux-là et, par suite, l’état de solitude intellectuelle et morale dans laquelle je me trouve et qui me force à retourner sur