Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/167

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moi-même une grande partie de mes forces vives, est un malheur pour moi. Je suis devenu égoïste et goinfre, mon estomac trouvant qu’il lui manque quelque chose absorbe, absorbe sans cesse et ne fait que s’affadir davantage. Prends-le au moral comme au physique. J’aurais besoin d’une famille, de la vôtre par exemple car l’indifférence commence à me pétrifier le cœur, il est bien rare qu’un enthousiasme quelconque se réveille en moi, et quand je donne mon cœur, je le donne tellement en détail que je finirai par ne plus savoir aimer…

Ce que vous m’avez dit de cette atmosphère de corruption qui pèse aujourd’hui sur la France et de cette hiérarchie de voleurs qui ont tous la main dans la poche l’un de l’autre, ne m’effraie qu’à demi, parce que je n’en souffre pas et que, d’ici, je puis considérer la chose d’une manière un peu générale. Je comprends que, sous bien des rapports, la vie de Paris doit être triste, et moi-même j’en suis tout dégoûté par anticipation, mais, vu de loin, le spectacle de cette corruption a quelque chose de grandiose et donne une magnifique réponse à la question de la concurrence, telle qu’elle a été posée en 1789. Tout s’universalise, et quand ces gigantesques compagnies, organisées pour le gaingner, se seront étendues sur la société tout entière, on saura du moins que c’est par l’union de tous que se font les grandes choses. C’est ce qui m’a frappé dans le rapport d’I. Pereire. Le langage du commerce devient celui de la plus haute philosophie. Laisse donc les scarabées rouler leurs crottes : ils purifient le sol de l’Égypte.

Après quarante jours d’attente, j’ai reçu indirectement des nouvelles du vieux Chassaigne et de notre plantation. Tout allait bien et nos aracachas, nos malangas et nos patates douces étaient magnifiques ; de