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FRANCE.

l’un à l’autre se contemplent de mieux en mieux à mesure que baisse une cime intermédiaire : ainsi la Bastide-de-Sérou, bourg escaladant un coteau de l’Arize, n’apercevait point Montagagne ; ce village a d’abord montré la pointe de son clocher, puis insensiblement il s’est dégagé tout entier ; on eût dit qu’il montait, mais c’était une colline interposée qui descendait avec lenteur ; il voit aujourd’hui la Bastide et la Bastide le voit.

Les deux sommets culminants de la grande chaîne ariégeoise, la Pique d’Estats (3 140 mètres) et le Montcalm (3 080 mètres), ne sont séparés l’un de l’autre que par un petit col. Ils planent au-dessus des sources d’un torrent du bassin de l’Ariège, au nord-ouest et près du val d’Andorre, pays de 60 000 hectares qui a le titre de république indépendante, mais il relève en réalité de l’Espagne, ou plutôt de la Catalogne, tant par la nationalité de ses 40 000 habitants, qui sont Catalans, que par l’exposition méridionale de ses monts nus d’où coule un beau torrent, l’Embalire, tributaire de la Sègre. Les Andorrans paient à la France un tribut annuel de 960 francs, et à l’évêque d’Urgel un peu moins de la moitié.

Il n’y a point de névés sur les épaules du Montcalm et de la Pique d’Estats, et cependant on fixe à 2 800, et même à 2 730 mètres seulement, la hauteur des neiges éternelles dans les Pyrénées françaises : la ligne de séparation des frimas passagers et des frimas persistants passerait donc à trois ou quatre cents mètres au-dessous du front des deux géants de l’Ariège. Mais c’est précisément parce que les choses varient infiniment qu’on essaye de fixer des moyennes. Pour ne pas sortir des Pyrénées, des pics de 3 000 mètres y sont libres de neige en été, tandis que le grand, glacier du Vignemale descend à 2 197 mètres. La nature a fait les monts, les glaciers, les plaines et les sillons de neige, l’homme a créé les lignes inférieures des neiges persévérantes ; mais les barres inflexibles qu’il a décorées de ce grand nom n’existent que dans nos livres, dans nos cartes, dans nos calculs, sur