Page:Reclus - France, Algérie et colonies, 1886.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
GÉOGRAPHIE.

nos lèvres fragiles ; nulle part elles ne sont tracées sur le flanc des montagnes en lignes architecturales, et, depuis qu’il y a des Alpes et des Pyrénées, la frontière des neiges perpétuelles y ressemble au profil ondoyant des mers : elle monte ou descend incessamment, comme par un flux et un reflux, dans tous les lieux, à tous les instants, suivant la forme des pics, la nature des roches, les souffles du vent, la température des heures, des jours, des mois, des saisons, des années et des siècles.

Parmi les nappes d’eau des Pyrénées ariégoises, il en est une qui deviendra pour l’Ariège ce que l’Oredon est pour la Neste, ce qu’est le lac Bleu pour l’Adour. L’étang de Naguille a 47 hectares, avec 7 à 15 mètres de profondeur : dans la masse du barrage qui relèvera de 3 mètres le plan de ses eaux, une vanne le videra jusqu’à 3 mètres du fond ; ces flots lacustres, le torrent du déversoir les portera dans l’Oriège, l’une des branches de la rivière de Foix ; et cette réserve de l’hiver pour l’été rendra cette rivière, l’Ariège, capable d’irriguer 22 500 hectares dans les campagnes de Pamiers et de Saverdun.


La grande crête ne s’avance point dans le département de l’Aude, mais au nord-est du col de Saint-Louis (687 mètres) les Pyrénées y projettent les Corbiéres, monts de craie dépouillés, arides, brûlés, fendus en gorges de très vaillante allure, paysages de pierre vive, d’onde rare et claire, de roches colorées, de lumière éclatante. Elles ont pour maîtresse pointe un puy sauvage, isolé, grandiose autant que mainte cime deux à trois fois plus haute, le Bugarach (1 231 mètres) ; leur site le plus parfaitement admirable est l’ermitage de Saint-Antoine-de-Galamus. Leurs torrents vont à l’Aude ou à l’Agly ; ou plutôt ces deux fleuves reçoivent ce que le crible du sol n’a pas englouti, ce que le soleil a dédaigné de boire.

Quand le voyageur qui va de Toulouse à Cette a dépassé Carcassonne, il voit à gauche un fleuve, l’Aude, à