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l’homme et la terre. — peuplement de la terre

lie, plus caractéristique au point de vue des nationalités que ne l’avait été la tentative presqu’avortée de l’émancipation hellénique, car, tandis que la nation grecque, dispersée sur tous les rivages de l’Orient, n’offre de frontière précise en aucune partie de son domaine, la population de langue italienne correspond d’une manière assez exacte aux contours géographiques de la Péninsule : le Alpi che cingono l’Italia limitent, sauf quelques enclaves, la contrée dove suona il si[1]. D’ailleurs cette unité italienne, qui semblait si bien indiquée par l’enceinte en amphithéâtre des Alpes, avait été clamée d’avance par de très nombreux écrivains : dès les âges de la Révolution française, elle était devenue la revendication par excellence de tous les patriotes de la Péninsule. Et que de fois ceux-ci, passant du vouloir à l’action, tentèrent l’œuvre d’affranchissement et d’unification de l’Italie ! L’ensemble de ces tentatives constitue l’une des épopées les plus remarquables que nous présente l’histoire des peuples. L’Italie « une » s’est faite, toutefois il reste encore une Italie « non rédimée », comprenant l’Istrie, le Trentin, Malte, tandis que, d’autre part, la nationalité « rédimée », devenue grande puissance, s’est empressée d’imiter ses devancières, en attentant à d’autres nationalités dans le continent d’Afrique pour se donner un cortège de colonies. Elle occupe l’Erythrée et la Somalie orientale, en attendant que la mort de l’ « homme malade » la fasse héritière de la Tripolitaine et lui permette de faire valoir ses « droits » à la possession de l’Albanie.

La troisième grande expérience, celle de l’Allemagne, beaucoup plus compliquée, se poursuit depuis plusieurs générations ; mais peut-on voir sérieusement dans cette évolution confuse un développement du principe des nationalités ? Lorsque la nation allemande s’engagea dans ce mouvement d’unité, elle n’était point, comme l’Italie, soutenue dans son œuvre par le symbole visible que donne un domaine géographique bien distinct, marqué par des limites précises. L’Allemagne n’a point de frontières naturelles : Gaules, Slavie, Scandinavie et Germanie se pénètrent mutuellement et par des emprises profondes. Pour que la conscience commune de l’Unité nationale pût naître, se développer, atteindre sa maturité de réalisation, le lien de cohésion devait tire non le territoire, mais la langue ou du moins la parenté des langages. En se

  1. Les Alpes qui ceignent l’Italie… où résonne le si. A la page 322, même idée : où résonne la langue allemande.