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l’homme et la terre. — latins et germains

La composition sociale de nombre de centres industriels qui gardent officiellement une position très secondaire dans les départements comporte un noyau puissant de familles très riches ayant l’orgueil de leur situation et tenant le monde des fonctionnaires en assez médiocre estime. À cette aristocratie industrielle répond un nombreux prolétariat, constituant la grande majorité de la population, enfin une classe intermédiaire de détaillants vivant de la clientèle des ouvriers et soumis parfois au pouvoir discrétionnaire des maîtres. Or ces diverses classes ont une forte natalité, de beaucoup supérieure à celle des sociétés bourgeoises composées de rentiers et de fonctionnaires. L’existence est aléatoire aussi bien pour l’ouvrier que pour le patron ; l’un et l’autre courent après la fortune et en acceptent les chances : risquant chaque jour des gains et des pertes, ils ne craignent pas d’aventurer aussi des enfants dans la bataille de la vie ; on a même constaté que, par la contagion des idées et l’esprit d’imitation, la population agricole qui entoure les centres ouvriers se laisse entraîner à fonder des familles nombreuses. Dumont en a constaté des exemples remarquables autour de Dunkerque, de Lillebonne et autres villes industrielles.

Ainsi les conditions économiques et sociales réagissent diversement sur l’équilibre de la population, faisant varier sans cesse les oscillations de la vie et de la mort. Quoi qu’il en soit de ces alternatives, le progrès n’est point un mouvement qui se mesure seulement par ordre numérique, suivant la statistique précise des têtes d’hommes, de femmes et d’enfants. Le nombre est, à n’en pas douter, un élément de civilisation, mais il n’en est pas le principal et, même, dans certains cas, il peut être un obstacle au développement d’un vrai progrès en bien-être personnel et collectif, ainsi qu’en bonté mutuelle.

D’autre part, l’immigration sur son territoire des populations avoisinant la France prend la place des enfants qui n’y naissent point, et il est indiscutable que les fils d’étrangers font de « bons Français », d’aussi parfaits patriotes que furent d’enthousiastes Prussiens les Dubois-Reymond, les Verdy du Vernois et autres descendants des Calvinistes. On a souvent remarqué que parmi les hommes ayant le plus véhémentement discouru sur la « gloire de la France », il s’en trouve un certain nombre dont un, deux ou plusieurs grands-parents sont nés en dehors des frontières de ce pays : le sol, le milieu, la langue façonnent l’individu qui prend rang dans la masse de la