Page:Reclus - L’Avenir de nos enfants.djvu/5

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grands souffre-douleurs ! Je fais appel aux hommes sincères qui se rappellent leurs jeunes années. Ou bien ils furent malheureux par eux-mêmes, ou bien s’ils ont été choyés, si les premières luttes de l’existence ont été facilitées pour eux, ils ont vu souffrir leurs petits camarades, et de souffrances irrémédiables contre lesquelles toute révolte est inutile : que pourraient-ils faire contre les violences et les moqueries, les lâches insultes des grands ? Rien, si ce n’est d’amasser peu à peu dans leur cœur un trésor de vengeance que, devenus grands à leur tour, ils dépensent peut-être à molester d’autres enfants.

D’ailleurs, si tendres que soient les parents, si dévoués qu’ils soient au bonheur de leur progéniture, il leur faut subir eux-mêmes les conditions que leur fait la société dans laquelle ils vivent et y soumettre également leurs enfants. On sait combien ces conditions sont dures pour le pauvre. Il faut que le fils du famélique entre tout jeune dans la manufacture, qu’il devienne le serviteur de la formidable machine tissant la laine ou broyant le fer. Non seulement il doit obéir aux maîtres, aux contre-maîtres, aux moindres ouvriers, mais il est encore asservi à tous les rouages dont il lui faut observer les mouvements pour régler les siens propres. Il ne s’appartient plus ; tout geste devient chez lui un simple mécanisme,