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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

vement de même nature dans le monde des dieux ; l’ascension et la décadence des maîtres de la Terre se doublaient dans l’espace de l’exaltation et de l’obscurcissement des divinités d’en haut, car l’imagination des hommes se modèle toujours sur la réalité.

Mais par l’effet de la persistance des institutions, de la durée des traditions, de l’accoutumance aux pratiques héréditaires, tous ceux qui profitaient de l’ancien état de choses cherchaient à le prolonger au delà du temps normal, et c’est ainsi que rois, prêtres, et leurs parasites ont toujours apporté tant de zèle à maintenir les images que leurs prédécesseurs avaient créées dans les cieux, à perpétuer les cérémonies religieuses et toutes les conventions morales qui en dérivaient.

Le consentement unanime de millions et de millions d’hommes, pendant de nombreuses générations successives, a fini par donner à de vaines figurations comme une solidité concrète, et lors du danger, quand les maîtres ont recours aux dieux, leurs créatures, l’appel que les puissants de la terre menacés font aux puissants du ciel ne reste pas sans écho. L’ensemble de toute l’organisation politique et sociale à laquelle appartiennent les dieux constitue un tout solidaire, agissant et réagissant par toutes ses parties les unes sur les autres : les rois ayant intronisé les dieux, ceux-ci, par contre-coup, prolongent la durée des monarchies et des églises.

Toute religion se fait une éthique à son usage, ou plutôt elle prend dans le fonds commun à tous les hommes les règles de conduite qu’il lui convient de prescrire. Il en résulte naturellement que les interprètes de tout culte se croient volontiers les créateurs de la morale : et ils se l’imaginent d’autant mieux que sorciers et magiciens, expliquant à leur gré les volontés d’en haut, se sont également enhardis à devenir les exécuteurs de ces volontés : après avoir prononcé les peines, ils aiment à les appliquer ou à les faire appliquer par leurs fidèles. Justiciers par les paroles, ils tiennent aussi à l’être par les actes. Aux temps originaires de la vie des nations, avant que les phénomènes de dédoublement se fussent accomplis dans les fonctions sociales primitives, nous voyons d’ordinaire les autorités se confondre dans le même personnage, prêtre ou magistrat.

Mais, quoique s’imaginant par la pensée vivre en êtres supérieurs de nature divine, en dehors de la société ambiante, les magiciens et juges