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religions et justice

n’en sont pas moins des hommes comme les autres, puisant des idées et des préjugés dans l’héritage ancestral. En châtiment à ceux qu’ils veulent punir, ils commencent par appliquer la peine du talion, c’est-à-dire une souffrance ou une privation identique à celle qui fut occasionnée, blessure pour blessure, maladie pour maladie, mort pour mort.

C’est une erreur très accréditée d’identifier le talion avec la vengeance : une punition identique à la faute parut très équitable d’abord, et chez le condamné lui-même l’idée put s’en confondre avec celle de la pénitence : le pécheur repentant trouve juste de se punir ou d’être puni de la même manière dont il a péché et dans la mesure de sa faute[1]. La vengeance, le « coup pour coup » des enfants, n’est donc pas l’unique point de départ de l’évolution pénale. D’après Tarde, cette origine, quoique la plus apparente, serait de valeur secondaire : la genèse en serait le châtiment domestique, correspondant d’un côté au blâme, de l’autre au remords. À cette peine du talion, relativement acceptée comme juste, parce qu’elle était incomprise, combien d’autres punitions, jusqu’aux tortures et à la mort, furent-elles infligées, pour violations vraies ou prétendues de la morale, par les dispensateurs du pouvoir politique et religieux !

Le précepte fondamental du droit imaginé par ceux qui en bénéficiaient était de s’approprier virtuellement la vérité, la justice, et, en récompense, de s’attribuer la possession réelle des biens terrestres. Telle est l’une des principales causes de cette institution que l’on a nommée tabou dans les îles océaniennes et que l’on désigne sous tant d’autres appellations, notamment lois, devoirs, convenances, dans le reste du monde. Interdiction absolue au vulgaire, à la tourbe des profanes et des sujets, parfois aux femmes et aux enfants, sous peine d’amende, d’emprisonnement, de supplices, interdiction de toucher aux fruits, aux mets réservés à la table des supérieurs, de prendre part aux plaisirs des grands, de s’élever jusqu’à la connaissance des révélations suprêmes. L’inégalité était le résultat humain de l’appropriation des richesses, de la force du pouvoir : il fallait en outre lui donner une sanction divine, en faire l’une des assises de l’Univers.

  1. G. Tarde, Les Transformations du Droit, pp. 18, 21.