Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/57

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s’approche avec surprise. Quelques rares baigneurs aussi seront là dès l’arrivée pour y voir le nouveau venu ou l’ami. On est si seul là-bas, aux fins des terres, c’est l’unique impression que vous aurez aussi dans ce pays demi-mort et sauvage, sans vie et sans culture, confiné presque dans l’Océan.

On l’entend à deux pas et il vous attire. La mer est là, magnifique, imposante et superbe, avec ses bruits obstinés. Rumeur impérieuse et terrible, elle tient des propos étranges. Les voix d’un infini sont devant vous. Rien de la vie humaine. Sur le haut horizon, pas un navire, une voile à demi cachée est en plein Océan. Là, les côtes lointaines de la Charente, tachées de quelques points blancs imperceptibles qui sont des maisons. Ici, c’est la plage immense, indéfinie, dont les fins se confondent avec la mer elle-même, avec le jour et la lumière, avec l’éclat mouvant de la vague argentée.

Peintres, allez donc voir la mer. Vous y verrez les merveilles de la couleur et de la lumière, le ciel étincelant. Vous sentirez la poésie des sables, le charme de l’air, de l’imperceptible nuance. Vous en reviendrez plus forts et remplis de grands accents.

Poètes, allez voir ce rivage. Vous aurez à chanter le mystère de l’infini. Vous aurez sur ces bords la forte solitude.

Musiciens, allez entendre son harmonie.

Vous, enfin, fatigués de la vie mondaine, vous que le poids des jours accable, vous tous qui travaillez sans trêve et sans repos au sein de nos misères, vous tous, hommes des champs et gens du peuple, allez respirer la force et la foi dans la nature féconde, notre mère et amie.



Il est certaines choses du cœur qu’il faut subir et commenter dans le silence.

Elles viennent, elles s’en vont. Elles laissent des passes profondes. Quand le temps les a touchées de son ombre, elles sont