Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/58

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alors comme un accroissement de nous-même, une augmentation de la vie, un surcroît suprême où nous sentons le tourment divin nous grandir ; où la sensibilité, hier aride et toute sèche, reprend sa vie, sa résonnance d’autrefois, la fraîcheur vive des premiers ans : germination sacrée qui pourrait nous induire à l’idée que rien de ce qui est du cœur ne saurait finir — peut-être.

Le vouloir n’a point de prise sur elles, du moins à certains jours et par instants : c’est là le plus troublant problème qu’un homme moral ait à résoudre. C’est la plus inquiétante question qu’un esprit mûr, une pensée soucieuse de la docile obéissance à sa loi, tendant à la perfection, tourmenté de se bien conduire, et qui n’a d’autre but que de donner intact le dépôt de sa moralité, ait par fatalité l’occasion de se poser.



« Le cœur a ses raisons », il les a, il les poursuit, il délibère en nous selon des lois secrètes infiniment mystérieuses, si bien qu’à l’occasion d’une rencontre de femme — rencontre fortuite — il s’empare de la personne entière, c’est la domination, un envahissement, une défaillance obscure, où l’on ne discerne plus très bien ce que c’est que la conduite, où la notion du bien et du mal n’est plus, ou n’est plus nécessaire, parce que ce qui est du cœur à cet instant divin est alors quelque chose de l’éternité.



Déjà, pour me l’être dit à moi-même, je sens comme un apaisement de ma tristesse ; comme si la loi d’aimer devait incessamment produire et créer partout où elle s’affirme, philtre délicieux, mirage charmant, verbe, extase et délire où le ciel même s’ouvre et se crée par elle.



Il y a quelques minutes de sa présence où ce que j’ai ressenti