Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/150

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relèvent le nez, les yeux, la bouche et empêchent ainsi le visage de se laisser tristement glisser, Pierre, qui au fond n’avait peut-être si bien combiné le désespoir de sa compagne que pour avoir pitié à son tour, se sent frustré, s’exaspère et pour un peu prétendrait qu’elle est en somme indifférente. Cette jeune fille qui fume devant lui, tout près de lui, et si peu ressemblante avec son masque de bonnes intentions à celle qu’il croyait qu’elle allait être ce soir, il se dit que le silence dont elle se cuirasse pour résister aux coups de son propre mutisme ou de ses phrases en flèches est moins lourd de douleur que de dépit et, même, il n’est pas loin de croire qu’une coquetterie volontairement malfaisante la pousse à s’imposer pour les séparer plus sûrement Bruggle et lui.

… Car, pense-t-il, une femme aura beau feindre la curiosité ou la sympathie, voire une admiration dont le snobisme nous a déjà valu certains exemples, jamais elle ne pourra s’empêcher de souffrir rageusement, au plus secret de son orgueil, si elle constate que l’amitié de deux hommes s’affirme au point de devenir cet amour que les hypocrites et les ignorants ne prétendent possible qu’entre des individus de sexes différents. Diane, en dépit de son esprit de charité, ne demanderait qu’à mépriser l’amour que j’ai pour Arthur, mais parce qu’un sentiment lui en impose qu’elle eût, spontanément, jugé impossible ou ridicule,