Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/162

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Le temps viendra vite des cheveux poivre et sel coupés trop court et parce que déjà tu n’oseras plus te pencher sur ton miroir, tu remueras tes vieux souvenirs pour te forcer à croire que ta jeunesse ne fut point un leurre.

N’empêche qu’un beau jour dans le train qui t’emmènera vers quelque Florence ou quelque Grenade, tu ne pourras t’empêcher d’envier le bonheur des jeunes mariés tes voisins, et, regrettant le Cloupignon devenu sénateur, tu jugeras enfin à leur juste prix les effets de lumière à Saint-Tropez, Pont-Aven, Barbizon, les talons plats, les lunettes façon écaille, et le mensonge d’un amour que tu te seras acharnée à faire semblant de poursuivre. Mais combien d’années vas-tu encore attendre pour t’avouer qu’au fond, Nietzsche, Kant, et la critique de la raison pure, la civilisation orientale, le problème des ombres et des volumes, la Pensée avec un grand P, l’Art avec un grand A, tu t’en fous.

Écoute Diane je t’ai dit que j’en avais assez du mensonge. Depuis longtemps, chaque jour j’ai voulu te parler et chaque jour j’ai remis au lendemain. Je n’ai eu certaine franchise, au reste bien relative, qu’afin de mieux masquer l’essentiel. Je ne t’ai point caché mes gestes ou mon emploi du temps, mais j’ai toujours fait en sorte qu’ils n’aient pour toi aucune transparence et ne te laissent rien deviner de mon esprit. Que tu connaisses ma vie et moi la tienne voilà qui n’a point empêché nos pensées de demeurer, en fait, étran-