Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 4 Antechrist, Levy, 1873.djvu/190

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grotesque, de grandiose et d’absurde. Comme le césar était fort lettré, sa folie fut principalement littéraire. Les rêves de tous les siècles, tous les poèmes, toutes les légendes, Bacchus et Sardanapale, Ninus et Priam, Troie et Babylone, Homère et la fade poétique du temps, ballottaient comme un chaos dans un pauvre cerveau d’artiste médiocre, mais très-convaincu[1], à qui le hasard avait confié le pouvoir de réaliser toutes ses chimères. Qu’on se figure un homme à peu près aussi sensé que les héros de M. Victor Hugo, un personnage de mardi gras, un mélange de fou, de jocrisse et d’acteur, revêtu de la toute-puissance et chargé de gouverner le monde. Il n’avait pas la noire méchanceté de Domitien[2], l’amour du mal pour le mal ; ce n’était pas non plus un extravagant comme Caligula ; c’était un romantique consciencieux, un empereur d’opéra, un mélomane tremblant devant le parterre et le faisant trembler[3], ce que serait de nos jours un bourgeois dont le bon sens aurait été perverti par la lecture des poètes modernes et qui se croirait obligé d’imiter dans sa conduite Han d’Islande et les Burgraves. Le gouvernement étant la chose pratique par excel-

  1. Suétone, Néron, 20, 49.
  2. Suétone, Néron, 39. Cf. Jos., Ant., XX, viii, 3.
  3. Suétone, Néron, 23, 24.