Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 4 Antechrist, Levy, 1873.djvu/191

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lence, le romantisme y est tout à fait déplacé. Le romantisme est chez lui dans le domaine de l’art ; mais l’action est l’inverse de l’art. En ce qui touche à l’éducation d’un prince surtout, le romantisme est funeste. Sénèque, sous ce rapport, fit bien plus de mal à son élève, par son mauvais goût littéraire, que de bien par sa belle philosophie. C’était un grand esprit, un talent hors de ligne, et un homme au fond respectable, malgré plus d’une tache, mais tout gâté par la déclamation et la vanité littéraire, incapable de sentir et de raisonner sans phrases. À force d’exercer son élève à exprimer des choses qu’il ne pensait pas, à composer d’avance des mots sublimes, il en fit un comédien jaloux, un rhéteur méchant, disant des paroles d’humanité quand il était sûr qu’on l’écoutait[1]. Le vieux pédagogue voyait avec profondeur le mal de son temps, celui de son élève et le sien propre, quand il s’écriait dans ses moments de sincérité : Literarum intemperantia laboramus[2].

Ces ridicules parurent d’abord chez Néron assez inoffensifs ; le singe s’observa quelque temps et garda la pose qu’on lui avait apprise. La cruauté ne se

  1. Suétone, Néron, 10.
  2. Sénèque, Lettres à Lucilius, cvi, 12.