Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 5 Evangiles, Levy, 1877.djvu/469

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

même pied qu’Ébion ; on s’habitua bientôt à ne les pas séparer[1], et comme Ébion était la personnification abstraite du judéo-christianisme parlant hébreu, Cérinthe devint une sorte de mot générique pour désigner le judéo-christianisme parlant grec. On fit des phrases comme celles-ci : « Qui osa reprocher à Pierre d’avoir admis les païens dans l’Église ? Qui abreuva Paul d’injures ? Qui provoqua une sédition contre Tite l’incirconcis ? Ce fut Ébion, ce fut Cérinthe »[2], phrases qui, prises à la lettre, firent supposer contre toute vérité que Cérinthe avait eu un rôle à Jérusalem, dès les premières années de l’Église. Comme Cérinthe ne laissa pas d’écrits, la tradition ecclésiastique roula, en ce qui le touchait, d’inexactitudes en inexactitudes. Dans ce tissu de contradictions[3], il n’y a qu’un mot de vrai. Cérinthe fut bien le premier hérétique, l’auteur d’une doctrine destinée à rester une branche morte dans le grand arbre de

  1. Chez les hérésiologues, la secte de Cérinthe suit toujours celle d’Ébion, et ce rapprochement contribua sans doute à faire prendre Ébion pour un personnage réel.
  2. Épiph., xxviii, 2-5, 8.
  3. En réalité, la tradition ecclésiastique nous a légué deux portraits de Cérinthe, fort différents l’un de l’autre : 1o le Cérinthe millénaire, disciple ou auteur de l’Apocalypse, qui résulte de ce que disent Caïus et Denys d’Alexandrie ; 2o le Cérinthe gnostique et antijuif, qui résulte de la notice d’Irénée et de celle des Philosophumena, laquelle découle presque tout entière d’Irénée.