Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/101

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l’esprit moderne : c’est de l’envisager comme un degré nécessaire vers le parfait ; c’est-à-dire vers l’avenir. Et cet appel n’est pas l’acte d’une foi aveugle, qui se rejette vers l’inconnu. C’est le légitime résultat qui sort de toute l’histoire de l’esprit humain. « L’espérance, dit George Sand, c’est la foi de ce siècle. »

À côté d’un dogmatisme théologique qui rend la science inutile et lui enlève sa dignité, il faut placer un autre dogmatisme encore plus étroit et plus absolu, celui d’un bon sens superficiel, qui n’est au fond que suffisance et nullité, et qui, ne voyant pas la difficulté des problèmes, trouve étrange qu’on en cherche la solution en dehors des routes battues. Il est trop clair que le bon sens dont il est ici question n’est pas celui qui résulte des facultés humaines agissant dans toute leur rectitude sur un sujet suffisamment connu. Celui que j’attaque est ce quelque chose d’assez équivoque dont les petits esprits s’arrogent la possession exclusive et qu’ils accordent si libéralement à ceux qui sont de leur avis, cette subtile puérilité qui sait donner à tout une apparence d’évidence. Or il est clair que le bon sens ainsi entendu ne peut suppléer la science dans la recherche de la vérité. Observez d’abord que les esprits superficiels qui en appellent sans cesse au bon sens désignent par ce nom la forme très particulière et très bornée de coutumes et d’habitudes où le hasard les a fait naître. Leur bon sens est la manière de voir de leur siècle ou de leur province. Celui qui a comparé savamment les faces diverses de l’humanité aurait seul le droit de faire cet appel à des opinions universelles. Est-ce le bon sens d’ailleurs qui me fournira ces connaissances de philosophie, d’histoire, de philologie, nécessaires pour la critique des plus importantes vérités ? Le bon sens a tous les droits