Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/102

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quand il s’agit d’établir les bases de la morale et de la psychologie parce qu’il ne s’agit là que de constater ce qui est de la nature humaine, laquelle doit être cherchée dans son expression la plus générale, et par conséquent la plus vulgaire ; mais le bon sens n’est que lourd et maladroit, quand il veut résoudre seul les problèmes où il faut deviner plutôt que voir, saisir mille nuances presque imperceptibles, poursuivre des analogies secrètes et cachées. Le bon sens est partiel ; il n’envisage son opinion que par le dedans, et n’en sort jamais pour la juger du dehors. Or presque toute opinion est vraie en elle-même, mais relative quant au point de vue où elle est conçue. Les esprits délicats et fins sont seuls faits pour le vrai dans les sciences morales et historiques, comme les esprits exacts en mathématiques. Les vérités de la critique ne sont point à la surface ; elles ont presque l’air de paradoxes, elles ne viennent pas poser à plein devant le bon esprit comme des théorèmes de géométrie : ce sont de fugitives lueurs qu’on entrevoit de côté et comme par le coin de l’œil, qu’on saisit d’une manière tout individuelle, et qu’il est presque impossible de communiquer aux autres. Il ne reste d’autre ressource que d’amener les esprits au même point de vue, afin de leur faire voir les choses par la même face. Que vient faire dans ce monde de finesse et de ténuité infinie ce vulgaire bon sens avec ses lourdes allures, sa grosse voix et son rire satisfait ? Je n’y comprends rien est sa dernière et souveraine condamnation, et combien il est facile à la prononcer ! Le ton suffisant qu’il se permet vis-à-vis des résultats de la science et de la réflexion est une des plus sensibles agaceries que rencontre le penseur. Elle le fait sortir de ses gonds, et, s’il n’est très intimement philosophe, il ne peut s’em-